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Viva Espana

Nous sommes au pied de la frontière espagnol. Ce matin du 3 octobre, au départ d’Arles-sur-Tech, il nous faut monter ce que l’on a descendu sur l’autre versant . Quelques 900 mètre de grimpette sur une bonne piste remplie de châtaignés. Au moment du pique-nique, Olivier croque un morceau de saucisson et c’est un morceau de molaire qu’il ressort de sa bouche.

L’arrivée en haut du col nous offre une vue  toujours aussi grandiose sur les Pyrénées espagnoles. Ce Canigou au loin (photo ci-dessous), nous l’avons vu depuis le canal de la Robine, l’avons contourné et le verrons encore souvent.

Ces montagnes si hautes, si belles, si fières m’invitent à regarder plus loin, plus haut, à m’émerveiller devant toute cette beauté et à dire merci pour tant de magnificence, d’élégance, de douceur dans les formes.

Nous arrivons en vue du mas où nous souhaitons dormir. Il n’y a personne, zut. A la tombée de la nuit, nous montons la tente, résolus à rester là. C’est seulement vers 21h qu’une voiture arrive. Olivier sort pour discuter et nous pouvons rester pour la nuit.

Le lendemain, nous passons la frontière espagnole à la borne 546. Dans la longue descente sur Tapis, nous avons la chance de voir un daim qui nous regarde un instant, curieux, et s’enfuit dans la forêt de chênes lièges. Plus bas, les ânes dressent l’oreille et s’arrêtent. C’est un marcassin qui s’enfuit en courant rejoindre sa maman. Cette dernière dévalent la pente abrupte avec ses petits en faisant un grands fracas dans les feuilles sèches. Nous restons tout étonnés d’avoir entrevu des sangliers en plein jour.

Au village de Tapis, nous allons à la place jeu à l’entrée du village. Il y a quelques personnes âgées bien sympathiques qui nous laissent monter la tente à côté des jeux. Les ânes trouvent un pré juste derrière nous. Notre premier soir en Espagne reçoit un très bon accueil et nous encourage pour la suite.

 

Nous traversons une immense forêt de chênes lièges au tronc dégarni de leur écorce. Au village de Maçanet, un couple  franco-hispanique, Lucette et Xavier, nous aide en faisant les interprètes auprès de la mairie. Cette dernière se plie en quatre pour nous chercher des chemins et un logement pour la nuit. Merci à chacun pour l’énergie mise à notre disposition. Nous pourrons dormir dans une salle de 200 mètres carré, la plus grande du voyage pour 5 euros par adulte.

 

 

Il faut dire que nous n’avons ni trouvé ni réussi à  télécharger la carte pédestre de l’Espagne pour le GPS. Donc, retour à la bonne vieille méthode des cartes. Les chemins en Espagne, sont plus ou moins bien indiqués, selon les tronçons. Les cartes pédestres au 1 : 25’000 n’ont pas les sentiers balisées et celles au 1 : 50’000 contiennent certains itinéraires et pas d’autres. Il est difficile de trouver une bonne carte.

La fatigue et la lassitude nous décourage de plus en plus de monter la tente tous les soirs. Nous réalisons que même si de nombreux hommes et peuplades sont nomades, ils ne le sont pas au quotidien. Ils se déplacent selon les saisons et la nourriture et laissent leur campement plusieurs semaines ou mois au même endroit. Eliot demande souvent combien de temps on reste ici. Ce n’est pas le problème de marcher ou de dormir sous tente, nous y dormons très bien. Le problème c’est l’installation et le rangement.

A Darnius, nous rencontrons des compatriotes qui tiennent un hôtel et nous proposent de nous héberger dans une caravane pour pas cher. Bon compromis qui nous permet un jour de repos. Notre chemin nous fait longer un bon moment une rivière très agréable. Au Pont-de-Molins, nous rejoignons un des chemins de Compostelle pour quelques km.  Une certaine nostalgie nous anime sur ce chemin rempli d’histoires.

A plusieurs reprises, nous avons de la peine à trouver notre route dans les villes et villages. Par exemple, dès l’entrée de Figueres, nous perdons la trace du balisage. A tâtons, dans le calme et la confiance, nos yeux suivent le soleil et ne sont plus rivés sur le GPS. Finalement, nous retrouvons les panneaux à la sortie. Bizarre, il nous semble avoir développé, depuis le temps, un certain sens de l’observation pour trouver les panneaux !?

Cette région de l’Espagne regorge de porcherie. L’odeur délicate des cochons nous arrive en plein nez, encore plus prononcé avec la tramontagne. On se croirait presque chez nous quand les paysans purinent. Après Borrassà, nous trouvons un gite rural très accueillant, chez Léo et Luis, où nous passons quelques jours de repos. Cela nous permet d’envisager la suite de notre voyage. Nous sentons que la première partie de notre voyage la plus nomade va gentiment faire la place à une phase plus sédentaire.

Joies et plaintes des ânes

Basile : « Pourquoi nos maîtres ont-il quitté la douceur des canaux ? A part qu’il y avait toujours de l’eau à côté de nous (on n’aime pas trop l’eau vous savez), il y avait de l’herbe verte, de l’ombre et du plat. A présent, c’est montée et descente sans arrêt, les sentiers cath’ânes qu’ils appellent. Notre gosier est sec des herbes sèches. »

Apollon : « Bon, au moins, il ne pleut pas ici. Le pire, c’est quand nous avons dû faire toute une journée de descente, 1’000 mètre de dénivelés qu’ils ont dit. Mon dos en frissonne encore à cause du frottement des bâts. Mon garrot en est tout épilé. »

Basile : « Mais le pire du pire, c’est qu’il a fallu tout remonter le lendemain quelle ânerie. Tu te souviens du passage avec des tubes, cân’adien qu’ils disent. Le maître a dû nous faire passer dans le lit de la rivière. Quelle pente ! »

Apollon : «  Et la fois de l’escalier métallique. Heureusement que j’ai résisté, sinon, bonjour la catastrophe. Je crois qu’ils ont eu quand même peur. On a fait demi-tour. »

Basile : « Mais bon, en même temps, mon burro, quel bonheur de voir du pays, ces montagnes sont belles, il y a pleins de nouvelles saveurs à goûter, des mûres, des cynorrhodons, des olives et toutes ces herbes nouvelles. »

Apollon : « Question bonheur, tu te souviens aussi de cette dame, Monica. Elle a massé mon beau corps tout musclé. Je crois qu’elle avait le béguin pour moi. »

Basile :  « Parle pour toi, les caresses, il y en a que pour toi ! »

Apollon : « De toute façon, tu as toujours été jaloux. Chaque fois que les gens me caressent, il faut que tu me pousses loin pour en avoir plus. »

Basile : « Dis, je crois bien que nos âniers sont fatigués, ça fait une semaine qu’on se repose ici. L’autre jour, dis donc, le maître est monté sur ton dos ! »

Apollon : « Ouais, je l’ai bien senti, il est bien plus lourd que le gamin, mais moins lourd que les bagages… Quoique ?! »

Basile : « Moi, j’ai dû porter les provisions pour une semaine, les sacoches n’ont jamais été aussi lourdes. Quelle ânerie, faire autant de provisions à la fois ! La donzelle doit avoir peur qu’ils aient faim ! »

Les réflexions d’Eliot

Suite au chemin romain de la Régordane, Eliot fait souvent référence à cette population.

En quittant le bord de mer, Eliot demande :

– Maman, les romains, y passaient sur ces chemins ?

– Peut-être, répond maman, tu crois qu’ils allaient se baigner dans la mer ?

– Oui, sûrement, dit Eliot, et ils allaient aussi au camping.

– C’est aussi les Romains qui ont fait la place de jeu ?

En quittant les canaux et Port-la-Nouvelle, nous reprenons des grimpées et des descentes dans la garrigue. Maman relève :

– C’est moins plat que le canal ! En fait, il y a peu de choses aussi plat qu’un canal !

– Il y a le bord de mer ! répond papa.

– Et encore, réplique maman, la mer est plate, le bord pas toujours.

– La mer est pas plate, il y a les vagues, affirme Eliot.

Dans une épicerie de village, Eliot croise une dame et lui dit :

– Bonjour Madame.

– Bonjour, répond-elle.

– Je dis toujours bonjour aux gens, réplique Eliot.

– Et bien ! C’est très poli, dit la dame.

– Mais les gens y répondent pas toujours, répond Eliot.

– Ca, c’est moins poli, conclut la dame.

Maman montre un arbre à Eliot en expliquant que c’est un cyprès, un arbre souvent tout droit et long. Après réflexion, Eliot dit : « les cyprès, c’est parce qu’il sont tout près, sinon, c’est des cyloin ! »

En parlant avec Eliot de l’histoire des châteaux forts, Eliot demande : « Tu crois qu’ils habitaient encore dans les châteaux quand ils étaient en ruine ? »

Un soir qu’Eliot allait au lit plus tard, nous lui montrons les étoiles, en essayant de lui faire voir la grande ourse. Le lendemain, il y a beaucoup d’humidité sur la tente et dans le pré. Après réflexion, Eliot affirme : « la rosée, c’est seulement quand il y a la grande ourse ! »

Sur un magnifique sentier, nous discutons que ce doit être un chemin de muletiers, qu’à l’époque, ils ont eu beaucoup de travail pour le réaliser, car il y a de petits murets sur le côté et dessous pour pouvoir passer. Eliot, qui écoute tout et veut participer à la conversation, dit : «  oui oui, les romains (encore eux !), y z’ont fait ce chemin, à l’époque, et ils passaient par là. » Puis il s’arrête et demande : « papa, c’est où à l’époque ? »

En terre catal’âne

Nous poursuivons le canal du midi, avant de prendre celui de la Robine à Sallèles-d’Aude. Ces canaux sont bien tranquilles, extrêmement plats, la major partie du temps ombragés de platanes ou de pins. Après Narbonne, les arbres se raréfient. A l’approche de Port-la-Nouvelle, nous entrons dans une réserve naturelle. Le canal est bordé d’étangs et le paysage ressemble étrangement à la Camargue. Le temps est beau et chaud à part une journée pluvieuse.

Nous prenons quelques jours de repos à Port-la-Nouvelle, dans un camping à 5 min de la mer, avec piscines chauffées, toboggans et magnifique place de jeu comme nous n’en avons jamais vu. Eliot se régale entre l’eau et les jeux.

Décision est prise, nous quittons le bord de mer pour entrer dans les terres et suivre le sentier cathare à l’asseau des châteaux forts. Fini l’herbe tendre des canaux, ici c’est la garrigue avec ses buissons épineux et secs. Les ânes sont moins bien servis, quoiqu’un peu de sec leur va aussi. Fini le plat, nous retrouvons les montées et les descentes sous la chaleur moite des jours avant l’orage. Mais la sueur vaut la peine, car la vue est belle du haut des montagnes et longtemps encore nous pouvons apercevoir la mer.

Ce tronçon du voyage est marqué par de nombreuses rencontres. A Roquefort-sur-Corbière, nous partageons un bon moment avec nos voisins Marc et Joss, pendant qu’Eliot joue au trampoline avec Thomas et Maïlys.

Le sentier est très bien signalé par des bandes de couleur bleu et jaune. Il est parfois rendu difficile par la pente et les rigoles causées par le ruissellement de l’eau.

Le chemin cathare nous emmène de châteaux en châteaux, en allant crescendo. D’abord le château de Durban à usage agricole, que nous visitons après une nuit pluvieuse.

Puis, avant Tuchan, nous montons au château d’Aguilar, utilisé par les Cathares. En effet, il n’y a pas, à proprement parlé, de château cathare, car les châteaux existaient déjà avant leur arrivée. Au loin, l’orage gronde, mais nous resterons au sec.

Plus haut et plus beau, le château de Quéribus nous offre une vue époustouflante sur les Pyrénées et la Méditerranée. Le vent est tellement violent qu’à la porte d’entrée du château, il faut bien se tenir pour ne pas perdre l’équilibre.

Le village de Cucugnan, connu par son curé, nous raconte un peu l’histoire des cathares. Ces chrétiens, considérés comme hérétiques par l’Eglise Catholique, furent poursuivis et, pour beaucoup, brûlés vifs en raison de leur foi différente. Histoire sombre qui imprègne cette région de l’Aude.

Encore plus haut, plus majestueux et particulièrement bien conservé, le château de Peyrepertuse se confond avec les rochers. Difficile d’imaginer se promener à l’intérieur des murs et, pourtant, un sentier dans la montagne nous y emmène. C’est un vestige du XIe siècle qui nous ouvre ses portes et les ruines nous murmurent des histoires de chevaliers.

A Duilhac-sous-Peyrepertuse, nous quittons le sentier cathare direction le sud et les Pyrénées. Plus nous avançons à l’intérieur des terres et dans les montagnes, plus le paysage change.

La garrigue, les oliviers et les nombreuses vignes laissent doucement la place à des arbres plus grands, comme le frêne, l’acacia, le châtaigner, le hêtre, le chêne, le bouleau, le noisetier… Eliot se plaît à reconnaître ces arbres et développent un bon sens de l’observation. Il y l’œil très aiguisé pour trouver les couleurs du balisage des GR (bandes de peinture sur les arbres ou les rochers).

A la sortie du village de Duilhac, nous faisons connaissance avec Bastou et Laetitia, accompagnés de 2 chevaux, d’une pouliche de 3 mois et de 2 chiens. Ils se baladent sur ces sentiers et nous voyagerons durant quelques jours ensemble.

Le soir même, à St-Paul-de-Fenouillet, nous dormons chez leurs amis. Nous recevons une belle leçon de vie en compagnie de Line, Jesko et leur petit garçon Décembre. Ils ont beaucoup voyagé à pied et vivent à présent sous un tipi, très simplement, en cultivant leur terre. L’après-midi sera utilisée pour faire du jus de raisin comme à l’époque, avec les pieds et les mains, et il est excellent. Le soir, c’est pizzas au feu de bois cuites dans un four creusé à même la roche : mmm un délice. Nous passons un super moment. En les quittant, nous avons l’impression d’être riches avec tout notre matériel.

A Trilla, une pluie diluvienne s’abat sur nous juste après le pique-nique. Après 5 min, trempés, nous rebroussons chemin pour nous abriter au village et retrouvons Bastou et Laetitia. Ils se sont installés chez Monica, une anglaise, qui vit dans une ancienne cave à vin. La soirée est bien agréable, dans une ambiance anglophone, car 2 écossaises vivent chez elle quelques temps pour vendanger.

A Vinça, nous rencontrons Eldée, qui a fait le chemin de Compostelle au printemps et vit au camping avant de se trouver un logement. Plus nous allons vers le sud, plus les montagnes sont hautes. A Ballestavy, Janne et Job nous mettent un bout de terrain à disposition. Nous disons au-revoir à Bastou et Laetitia et continuons seul vers Batère, à 1’400 mètres.

Actuellement, à Arles-sur-Tech, nous prenons les renseignements pour passer la frontière espagnole et descendre tranquillement en direction de Tarragone. Nous allons bientôt dire au-revoir à la France.